JADKOMMANDO : Les forces spéciales autrichiennes
- ragnarfr2
- 7 juin 2021
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À l’instar des armées européennes, l’armée autrichienne a créé, dès les années 60, une unité de forces spéciales particulièrement pointue qui a pris le nom de Jagdkommando (littéralement, commando de chasse). Sa spécificité réside dans une formation particulièrement longue, rigoureuse et, de fait, hypersélective.
Le Jagdkommando autrichien tire son nom actuel des unités de l’armée impériale et royale constituées pendant la Première Guerre mondiale, des groupes d’assaut qu’on peut comparer à nos corps francs de cette époque. Leurs missions étaient d’obtenir du renseignement en conduisant des raids-surprises dans les tranchées ennemies. Dissoutes après la défaite de 1918, ces unités ne furent pas reconstituées pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que la petite armée autrichienne était intégrée dans la Wehrmacht, conséquence de l’Anschluss (mars 1938).
Il faudra attendre 1961 pour qu’un groupe d’officiers qui avaient pris part à une formation de l’US Army’s Ranger School propose à l’état-major de l’armée fédérale de créer une unité nationale de forces spéciales (FS). Après une série de stages effectués aux États-Unis et dans d’autres pays alliés, les premiers commandos autrichiens sont jugés opérationnels et le ministère de la Défense donne son feu vert pour la création de l’unité. Le Jagdkommando voit officiellement le jour le 4 mai 1963. Il est implanté à Wiener Neustadt, une ancienne école de cadets, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Vienne.
Les missions dévolues aux hommes du Jagdkommando sont celles de toute unité de FS : reconnaissance et acquisition de renseignement, opérations de contre-terrorisme, sabotage et destruction d’infrastructures et de bâtiments, extraction de personnel et d’otages, protection des personnalités, neutralisation de criminels de guerre, évacuation de citoyens autrichiens de zones dangereuses, etc.
Ils peuvent être employés en Autriche et à l’étranger, indépendamment ou en complément d’autres unités. Ils opèrent, bien évidemment, dans les zones où des unités conventionnelles de l’armée autrichienne sont déployées (Balkans, Afghanistan, Tchad).
En plus de ces missions, les commandos autrichiens peuvent également être utilisés à des fins d’assistance, en particulier pour apporter leur expertise aux forces de police confrontées au terrorisme, par exemple pour appuyer le groupe de travail Cobra en cas d’attaque ou de menace terroriste, ou pour participer aux opérations de secours en cas de catastrophe naturelle.
Sélection et entraînement
La sélection est particulièrement sévère. Elle a lieu une fois par an et débute en plein hiver, en janvier ou février. Les candidats au Jagdkommando doivent se soumettre à un processus sélectif rigoureux de quatre semaines, au cours duquel leurs aptitudes physiques et mentales sont évaluées. Les futurs commandos suivent une formation militaire de base, subissent des tests psychologiques et physiques et passent aussi un contrôle de sécurité. Leur casier judiciaire doit être vierge. L’épreuve physique permettant de se qualifier pour la sélection et l’entraînement au Jagdkommando comprend une course de 5 000 m en moins de 24 minutes, un grimper de corde de 30 m, 300 m de natation, un saut dans l’eau à partir d’une tour de 10 m ; ils doivent aussi effectuer le parcours du combattant standard des forces armées autrichiennes en moins de quatre minutes et demie, et une marche de 15 km avec sac à dos en moins de trois heures et demie.
Ceux qui réussissent la sélection initiale sont admis alors au cours de base Jagdkommando qui s’étale sur 27 semaines. Mais, avant cela, il faut franchir un cap redoutable sous la forme d’un exercice d’endurance de 72 heures. La plupart des candidats échouent à ce niveau, seuls 20 à 25 % sont effectivement qualifiés à l’issue de ce test qui se déroule en milieu alpin et comprend des marches tactiques épuisantes, accompagnées de tests psychologiques et techniques et de privation de sommeil. Ce n’est qu’à ce stade qu’ils peuvent intégrer le Jagdkommandogrundkurs, la formation de base des commandos autrichiens qui se déroule au camp d’Allentsteig, à la frontière tchèque. Il comprend notamment de l’alpinisme, de la plongée, du parachutisme, l’apprentissage des techniques de survie, la formation aux explosifs et, naturellement, l’utilisation de toutes les armes légères d’infanterie.
Après cette formation très complète, les nouvelles recrues peuvent intégrer une équipe du Jagdkommando. L’unité a un effectif d’environ 400 personnels répartis en quatre groupes : un quartier général (commandement et services) et trois groupes tactiques d’opérations spéciales, le troisième groupe étant composé de réservistes. Un commando type comprend six hommes : un chef de groupe, son adjoint et quatre spécialistes (un sniper/armurier, un sapeur, un infirmier et un transmetteur). Chaque commando est spécialisé dans une technique d’assaut ou d’insertion : aéroportée, amphibie, montagne.
L’armement comprend les fusils d’assaut Steyr AUG, SSG04, FN Herstal P90 et, depuis l’an dernier, le fusil de précision Steyr-Mannlicher SSG M1 en calibre 8,6 x 70 (.338) d’une portée de 1 200 m.
C’est le Jagdkommando-Verband qui prépare les commandos à exécuter des opérations spéciales. Mais Wiener Neustadt n’est pas réservé aux seuls commandos, ses instructeurs forment également des spécialistes issus des forces conventionnelles. Le département des opérations spéciales est divisé en quatre groupes chargés de former hommes et femmes de la Bundesheer (l’armée fédérale). Le Lehrgruppe 1 est en charge de la formation des compagnies commandos, de leur spécialisation, du tir et de l’utilisation des explosifs. Le Lehrgruppe 2 s’occupe uniquement de la troisième dimension, il forme au parachutisme les forces spéciales, les troupes aéroportées, les élèves officiers et les sous-officiers. Le Lehrgruppe 3 prend en charge l’instruction amphibie des forces spéciales, ainsi que celle des nageurs de combat et des plongeurs démineurs de l’armée fédérale. Le Lehrgruppe 4, outre la formation au combat rapproché, dispense des stages de survie et d’acclimatation aux milieux extrêmes (jungle, désert, montagne). Il forme notamment les équipages d’aéronefs de l’armée fédérale.

"Numquam retro "

La devise des Jagdkommandos est « Numquam retro » (Jamais en arrière). Contrairement à ce qu’on pourrait croire, elle ne fait pas référence à une action militaire passée, mais rappelle l’expédition polaire Payer-Weyprecht menée par la Kriegsmarine impériale (1872-1874), à l’époque où l’Autriche-Hongrie disposait d’une façade maritime sur l’Adriatique.
Cette expédition en Arctique est mémorable non seulement pour la découverte de la terre François-Joseph (ainsi nommée en hommage à l’empereur), mais également en raison de la persévérance quasi surhumaine et la détermination dont firent preuve les membres de l’expédition.
Ils furent honorés comme des héros nationaux lors de leur retour à Vienne où la population leur fit un triomphe.
Jagdkommandos et Cobra
L’Einsatzkommando Cobra est une unité de police spéciale dépendant du ministère de l’Intérieur. Il est utilisé pour des missions de niveau de danger moyen et élevé, par exemple lors d’arrestations potentiellement dangereuses ou de prises d’otages. Les hommes du Cobra sont recrutés parmi les policiers, ils opèrent la plupart du temps à l’intérieur des frontières nationales. Leurs missions et leur formation sont assez analogues à celles du RAID en France.
Les groupes du Jagdkommando, pour leur part, sont avant tout des soldats, ils opèrent principalement dans les zones de crise, où ils sont souvent affectés durant de longues périodes.
À la différence des Cobra, ils doivent être capables de remplir avec succès des missions de reconnaissance et des raids dans un environnement hostile. Il n’empêche que les rôles des deux unités d’élite, Jagdkommando et Cobra, revêtent une certaine similitude et peuvent parfois se chevaucher.

Opérations extérieures
L’armée autrichienne, comme toutes celles de l’Alliance atlantique et de ses partenaires, prend une part active aux opérations de maintien de la paix dans différentes zones de conflit. Dans ces missions internationales ou onusiennes, le Jagdkommando est souvent sollicité pour soutenir les unités régulières de la Bundesheer lorsqu’il existe une menace particulière, ou pour participer à la formation des forces locales. Ses soldats ont été déployés au Kosovo, en Albanie, en Afghanistan et au Tchad, entre autres. Dans les Balkans, c’est dans le cadre de la KFOR que les Jagdkommandos ont été engagés. Présents en Afghanistan aux côtés des troupes de l’OTAN dans le cadre de l’ISAF, ils se sont retirés en 2005.
Loin de l’ex-Yougoslavie qui constitue en quelque sorte un théâtre « naturel » pour les opérations de l’armée autrichienne, on a vu ces militaires d’Europe centrale sans traditions coloniales se déployer en Afrique. En fait, il s’agissait de deux missions différentes : la mission militaire de l’Union appelée EUFOR Tchad/RCA (Force de l’Union européenne Tchad/République centrafricaine, souvent désignée en Autriche comme « EUFOR Tchad ») et la mission ultérieure de l’ONU MINURCAT (Mission des Nations unies en République centrafricaine et au Tchad). L’intervention internationale a été décidée en raison des risques d’extension du conflit du Darfour, au Soudan. Selon les estimations des Nations unies, celui-ci avait fait plus de 300 000 victimes et provoqué l’exil de 2,7 millions de réfugiés. De plus, il s’est étendu aux États voisins, la République du Tchad et la République centrafricaine, déstabilisant toute la région. Pour les Autrichiens, la décision de participer à une mission dans la région a été prise très tôt. Déjà en août 2007, et donc avant la décision du Conseil de sécurité des Nations unies, l’armée avait commencé à planifier une mission au Tchad. Dès le début, il était clair que, compte tenu de leurs compétences particulières, les forces spéciales très mobiles du Jagdkommando devaient être déployées afin de surveiller une vaste zone. En septembre 2007, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé, dans sa résolution 1778, la mise en place de la MINURCAT. La mission comportait deux composantes, une civile et une militaire. Les fonctions militaires de la MINURCAT au départ ont repris celles de la mission militaire de l’EUFOR Tchad/RCA. Et ce déploiement des forces armées autrichiennes au Tchad (170 soldats au total) a été jugé remarquable à bien des égards, malgré leur inexpérience du théâtre africain.
Bien que l’on préfère généralement garder le silence sur les opérations du Jagdkommando, certains détails sont connus : de mars 2008 à mars 2009, le Jagdkommando a participé à un total de huit patrouilles prolongées d’une durée allant de 10 à 70 jours, dont trois sous commandement autrichien.
Au moins un incident grave s’est produit pendant cette période, après qu’une patrouille autrichienne eut essuyé des tirs d’armes automatiques, provoquant leur riposte immédiate. Du côté autrichien, il n’y a pas eu de blessé. Les assaillants ont été mis en fuite.
La tâche des Jagdkommandos était d’assurer une large surveillance, en bordure de la région du Soudan, au Tchad et en République centrafricaine. Les forces spéciales de l’UE devaient agir comme une force de réaction rapide pour améliorer la sécurité le plus rapidement possible et jusqu’à la mise en place d’un contingent de l’ONU (opération militaire de transition). La mission EUFOR s’est achevée en 2009. Le 14 janvier 2009, le Conseil de sécurité a adopté en effet la résolution 1861 autorisant le déploiement d’une force onusienne pour relever la force européenne au terme de son mandat le 15 mars 2009. Ce jour-là a eu lieu le transfert d’autorité entre EUFOR Tchad/RCA et MINURCAT. Les éléments européens poursuivant leur participation sont passés sous commandement onusien.

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